La famille d’Abu Abdulkarim attendait le retour du père, alors que les trois fillettes Raja, Najwa et Yusra attendaient les cadeaux que leur père devraient leur offrir. Chacune d’elles imaginait le genre de cadeau qu’elle pourrait recevoir. Soudain, on a sonné à la porte. C’était leur père. Chaque fillette s’est précipitée pour lui ouvrir la porte et avoir son cadeau avant les autres. En ouvrant la porte, les traits de leurs visages ont changé, de la joie de voir leur père à la tristesse de voir ses mains vides de cadeaux. Le père (Abu Abdulkarim) est rentré et s’est installé au salon avec les membres de la famille, ses enfants et sa femme. Il s’est mis à jouer avec ses fillettes et son fils aîné. Le rire et la joie remplissaient la maison cette nuit-là. Mais malgré les rires et l’ambiance, les fillettes pensaient toujours aux cadeaux qu’elles n’ont pas reçus. Najwa n’est pas arrivée à cacher sa colère; elle a criée: “papa, où sont les cadeaux que tu nous avais promis?”. Le père s’est tu, puis a dit: “je suis désolé, je les avais oubliés dans la boutique de l’oncle Abu Baraka”. Les fillettes se sont mises à pleurer. A ce moment là, le frère aîné (Abdulkarim) est intervenu pour les calmer en leur disant:” ne vous inquiétez pas, je vais aller, moi-même, chercher les cadeaux à la boutique”. Abdul Karim a quitté la maison, située dans un quartier résidentiel à l’est de la capitale Sanaa. Quelques secondes après son départ, il a entendu une grosse explosion suite à une frappe aérienne menée par les avions de combat de la coalition. Il s’est retourné pour voir dans quelle maison du quartier l’explosion a eu lieu. Il a été fortement choqué en voyant que c’était leur maison qui a été bombardée par un raid aérien. Les traits de son visage ont alors changé, tout autour de lui est devenu sombre. Il s’agit pourtant d’un quartier résidentiel où habitent des civils innocents; il n’existe aucun objectif militaire à côté. “J’ai couru rapidement vers la maison qui était alors en ruine et sans toit. La poussière et l’odeur de la poudre remplissaient le lieu. Sous les décombres, j’entendais les cris de mes sœurs. J’ai essayé, avec l’aide des voisins, d’enlever les décombres pour les sauver, mais on n’a pas réussi. On a essayé plusieurs fois, mais en vain! Au moment où les voisins et moi essayions d’écarter les décombres sous lesquelles se trouvaient mes petites sœurs et mes parents, un avion de guerre volait au-dessus de nos têtes, ce qui a obligé tous ceux qui sont venus au secours de ma famille à se disperser de peur d’être touchés par un nouveau raid aérien. Quelques minutes plus tard, nous avons entendu un missile siffler au dessus de nos têtes et frapper à nouveau notre maison, provoquant une explosion massive. La poussière, les pierres et les fragments du missile se sont dispersés largement partout. Après le départ de l’avion, je me suis précipité à l’endroit d’où venait la voix de mes sœurs, mais cette fois, je n’ai rien entendu, leurs cris, leur appel au secours, rien… Mon père et mes petites sœurs sont tous morts! Il ne restait plus que moi et ma mère, j’ai beaucoup souffert et j’ai souhaité mourir à ce moment-là”, raconte Abdulkarim. Abdul Karim se souvient que ce soir, leur maison était pleine de bonheur et que le bonheur s’est vite transformé en tristesse et en douleur intense. ” J’ai senti les ténèbres et la grande noirceur coupant la lumière qui remplissait notre maison, surtout que l’innocence, le rire de mes sœurs et leurs cris pour les cadeaux s’y sont rencontrés cette nuit-là. J’ai vu l’image de la criminalité et de l’injustice la plus cruelle. Ma mère ne veut plus vivre. Notre vie est devenue difficile après le départ de mon père et de mes sœurs; tout est fini! Je visite leurs tombes tous les jours, et je prie Dieu de les faire entrer dans son paradis où il n’y a pas de monstres” dit Abdulkarim. Abdul Karim est devenu incapable de payer le loyer ou de subvenir aux besoins les plus élémentaires tels que la nourriture et les médicaments, étant donné que son salaire n’a été plus payé il y a trois ans, la date où les pays de la coalition ont transféré le siège de la Banque centrale de la capitale Sanaa au gouvernorat d’Aden. Abdul Karim ajoute: “ma situation est devenue très difficile, pas de salaire, pas de travail! Le temps s’est arrêté à mes yeux ». Et il n’arrête pas de répéter d’une voix faible: “je suis devenu un corps sans vie dans un monde dont la conscience humaine est morte”.